
Johan a 63 ans et il est un homme de peu de mots. Pas vraiment bavard, donc. Il tient néanmoins à parler de son cancer. « Avant ma maladie, je n’aurais jamais osé parler si ouvertement à une personne que je ne connaissais pas. Mais j’ai changé, j’ai fait une volte-face. Alors que, jadis, je ne m’arrêtais pas à ce qui se passait dans ma vie, je le fais bel et bien maintenant. Ce n’est pas exagéré de dire que je suis devenu un autre homme. »
Johan parle donc volontiers de ce qui lui est arrivé pendant les deux années précédentes. Mais à une seule condition… l’interview doit avoir lieu dans l’hôpital où il se fait soigner. Il est très lié à l’infirmière en oncologie et aux médecins. Et c’est réciproque. Pour le personnel de l’hôpital de jour, c’est un habitué avec lequel ils aiment bavarder. Johan s’y sent à l’aise et en sécurité.
Vous trouvez ici les histoires, les idées et les opinions de témoins individuels. Votre propre situation pouvant être très différente, ces propos ne vous seront pas nécessairement utiles dans l’immédiat.
« Je devais subir une petite opération au gras du bras. Rien de grave, mais après l’intervention, je ne regagnais pas rapidement l’usage de la voix. On pensait que mes cordes vocales avaient été lésées par les conduites de l’insufflateur pendant l’anesthésie. Le médecin a donc jeté un coup d’œil sur mes cordes vocales, mais comme celles-ci ne présentaient rien d’anormal, on allait voir un peu plus loin… dans les poumons. Et là, les choses étaient moins bonnes. Puis tout allait très vite…. tellement vite que je comprenais moi-même à peine de quoi il retournait. J’étais abasourdi. Quelques jours plus tard, je comprenais déjà que les nouvelles étaient mauvaises ».
« J’ai demandé au médecin de ne pas tourner autour du pot. Je préférais recevoir la nouvelle en pleine figure plutôt que dans mon dos ! Et il a dit la simple vérité. Le diagnostic était clair : un cancer du poumon, mais qui n’était pas encore métastasé. »
« J’ai de mauvais souvenirs de cette première période de la maladie. C’est surtout de la ponction pulmonaire dont je me souviens. Elle fut très douloureuse. À l’aide d’une aiguille plantée dans mon dos, on a prélevé du tissu de mes poumons. Sans anesthésie ! Les premières sessions de la chimiothérapie furent désagréables. J’avais le cœur soulevé, j’étais fatigué, incapable de manger... Certains jours, j’avais des hallucinations. J’étais un cadavre vivant. C’étaient mes jours les plus sombres. Je perdais en outre mes cheveux. Quand je me déplaçais dans ma chambre, j’y laissais une traînée de cheveux. Partout où je passais, il y avait des cheveux. Je supportais cela très difficilement. Sans cheveux, je ne me sentais plus être moi-même. J’avais perdu ma fierté. Heureusement, mes cheveux ont poussé à nouveau. Je me sentais redevenu Johan !
« Je fumais dès mes 12 ans, pour faire le bravache ! Pendant plus de 50 ans, j’ai beaucoup fumé. Et quand on est tabacomane, on ne peut pas s’arrêter simplement. Mais lorsque le docteur m’a dit que j’avais un cancer, j’ai demandé à mon fils de jeter toutes les cigarettes hors de notre maison. Du jour au lendemain, j’ai arrêté de fumer. C’était très facile. Quand on est au pied du mur, ça va manifestement beaucoup mieux. »
« Je ne comprends que trop bien que je doive mon cancer du poumon à ma tabacomanie. Je ne veux d’ailleurs pas qu’on s’apitoie sur moi à cause de cela. Je dis toujours : c’est bien fait pour moi. Je n’aurais pas dû fumer. Pour ma femme, c’était plus difficile d’accepter le diagnostic. C’était surtout le fait que je rejetais la faute sur moi-même, qui était dur pour elle. Elle pleurait, moi pas. Car je sais que c’est de ma propre faute. »
« Je suis devenu un autre homme. Jadis, je n’aurai jamais fait une interview comme celle-ci. Je me serais tu et j’aurais regardé de quel côté venait le vent. Maintenant, j’ose parler de moi-même. Pourquoi pas ? Pourquoi d’autres ne pourraient-ils pas savoir que j’ai un cancer ? En ce sens, je suis devenu beaucoup plus sociable ».
« Lors du début de ma maladie, la relation avec mon fils était assez tendue. Il me reprochait d’avoir moi-même causé le cancer. Je n’aurais pas dû fumer ! Il n’a bien sûr pas tort. Mais ces derniers temps, nous sommes devenus beaucoup plus proches l’un de l’autre. J’ai un meilleur contact avec lui et je vais bientôt lui apprendre à conduire une auto. J’y aspire déjà. La relation avec ma femme s’est également approfondie. Nous échangeons beaucoup plus. Notre lien est devenu plus fort. C’est normal, sachant tout ce que nous avons dû surmonter ensemble ».
« Après cette période difficile de la chimiothérapie, nous avons commencé l’immunothérapie. Et cela va beaucoup mieux. Toutes les trois semaines, je passe à l’hôpital de jour pour ma cure. Je ne sais pas comment ça fonctionne précisément. Mais on me dit que le cancer se ‘ ratatine ’ et qu’il dort. Je pense que c’est pour cela que je ne passe de scanner qu’après chaque série de 5 sessions. On vérifie alors que le cancer ne reprend pas son activité. Jusqu’à présent la tumeur poursuit son sommeil, tandis que moi je vais mieux ».
« Je n’ai pas besoin de connaître les résultats du scanner pour savoir comment je vais. Je sens dans mon corps que je fais des progrès. Ainsi, je peux déjà marcher plus longtemps qu’il y a quelques mois. Avant, je ne pouvais pas aller à pied du parking jusqu’à l’hôpital de jour. À présent, je le fais sans m’arrêter ne fut-ce qu’une seule fois. J’ai une carte de stationnement pour personnes handicapées, mais je n’en ai pas besoin. »
« Actuellement, je suis prépensionné, mais ma femme travaille toujours. Cela signifie que je fais la plupart des tâches ménagères : je cuisine, nettoie, fais la lessive... Et ça va très bien. Ce n’est que lorsque je travaille dans le jardin, que je sens que je n’ai plus la forme d’antan. Même si cela va aussi de mieux en mieux. »
« Vous devez savoir que, pendant la période des sessions de chimiothérapies, mon fils a régulièrement dû m’aider à me lever, car je n’en n’avais moi-même pas la force. En me souvenant de cela et en sachant tout ce que je peux faire actuellement... je me rends très bien compte du fait que je reviens de loin ».
« Mon médecin ne me demande pas spécifiquement de faire plus d’activités physiques. Je sens moi-même que cela me fait du bien. Quand je suis plus actif, j’ai meilleur appétit et je me sens simplement mieux ».
« Je vais vraiment mieux, à présent. Je le sens simplement dans mon corps. Je prends par exemple à nouveau du poids. À l’époque de cette lourde chimiothérapie, je pesais à peine 54 kg. Je ne pouvais presque plus manger, car on ne me donnait que des aliments liquides. Mon objectif, c’est de regagner mon poids de 70 kg. On y est presque ! Entre-temps, je mange à nouveau tout ce que je veux. Un hamburger-frites ? Volontiers ! »
« J’ai changé. Jadis, je ne m’arrêtais pas à ce qui se passait dans ma vie. Je vivais très superficiellement. Ce n’est plus le cas maintenant ! À présent, je réfléchis davantage sur ce que je vis. J’ai fait volte-face. J’ai également une approche beaucoup plus positive que jadis ».
« Je souligne maintenant le bon côté de tout. Y a-t-il un contretemps ? Tant pis. Je dois simplement essayer de l’accepter. Attention… cela n’est pas toujours facile. J’ai aussi mes journées lourdes. Mais j’essaie de ne pas perdre courage. »
« L’avenir pour moi ? Je le considère d’une manière positive. J’espère pouvoir vivre encore quelque temps. Peut-être pourrai-je voir encore l’enfant de mon fils. Mon petit-fils ! Quel bonheur ! »
« À l’époque, je ne lisais pas beaucoup. Maintenant je dévore tout ce qui est écrit sur ma maladie. Je constate alors que l’on entend beaucoup de récits pessimistes sur le cancer. Ça se termine souvent mal. Mais cela ne correspond pas à mon expérience personnelle, qui est au contraire positive. J’envisage l’avenir d’un regard optimiste. »
« Je comprends de plus en plus que je peux me féliciter. Je suis reconnaissant de pouvoir vivre encore. De pouvoir faire aujourd’hui cette interview ! »
« témoignage recueilli en Juin 2019 »